Aux sources de la communauté furry, on retrouve l’anthropomorphisme et le zoomorphisme.
Pour être plus précis, selon un article d’Encyclopedia Britannica, l’anthropomorphisme était avant la moitié du XIXème siècle le fait d’attribuer des caractéristiques humaines, aussi bien physiques que mentales, à des divinités. Plus tard, la signification s’est élargie pour parler de l’interprétation de toute chose non humaine, comme la nature, des éléments de nos vies quotidiennes et plus encore, comme ayant des caractéristiques humaines.
Le zoomorphisme est en quelque sorte l’inverse : il s’agit d’attribuer des caractéristiques animales, souvent à des éléments de la vie humaine. J’utiliserai les deux termes tout au long de l’article et il n’est pas impossible que la limite soit parfois un peu floue ! C’est d’autant plus le cas dans le fandom de nos jours, vu que le fursona de quelqu’un peut à la fois être une version animalisée de son propriétaire (du coup, on parlerait plutôt de zoomorphisme), ou au contraire, une version humanisée d’un animal que la personne apprécie, ce qui correspond plutôt à de l’anthropomorphisme. Mais encore une fois, on peut aussi retrouver un peu des deux ! Le terme d’hybride pourrait donc tout à fait fonctionner, là aussi.
Ici, donc, on va simplement parler de quelques représentations hybrides qu’on pourrait qualifier de précurseurs au fandom, avant même qu’on parle de “furry”. 🙂
Der Löwenmensch : la plus ancienne figure hybride
Le livre Furry Nation de Joe Strike fait la liste de quelques représentations anthropomorphiques et zoomorphiques notables à travers l’histoire et le monde, la toute première étant aussi la plus ancienne connue à ce jour, la statuette de l’Homme-Lion ou Löwenmensch. La datation au radiocarbone, ainsi que d’autres méthodes comme la datation AMS et la thermoluminescence, indiquent que la statuette à tête de lion des cavernes est vieille de 35 000 à 40 000 ans, c’est-à-dire pendant l’Aurignacien, pendant le Paléolithique supérieur.
Cette œuvre est fascinante à elle seule, et ce pour plusieurs raisons : tout d’abord, il s’agit d’une des plus anciennes statues découvertes à ce jour et, comme indiqué précédemment, la plus vieille représentation zoomorphe connue.
De plus, une expérience fut conduite pour déterminer le temps nécessaire pour produire une telle sculpture, avec les moyens techniques et matériaux de la période. La démarche prit plus de 370 heures, une durée très longue pour une communauté qui à l’époque devait surtout se focaliser sur la survie et récupérer des ressources vitales. De fait, il semble que la statue ait un caractère mythologique, ce qui justifierait d’investir autant de temps dans sa manufacture.
La religion et le zoomorphisme : l’exemple de l’Égypte
Un des réservoirs les plus populaires de nos jours en termes d’animaux anthropomorphiques nous vient directement de la religion, en particulier du panthéon de l’Égypte ancienne. Le sujet est très vaste et complexe à lui seul, impossible donc pour moi d’aller dans des nuances en un seul article.
En revanche, il est utile de mentionner que plusieurs divinités arborent des caractéristiques animales, du moins dans leurs représentations, comme Anubis, dieu du monde souterrain à tête de chacal, Horus et sa tête de faucon, ou Bastet, déesse à tête de chat. Ces attributs animaux évoquent une certaine dimension symbolique : pour reprendre l’exemple d’Anubis, le chacal est un charognard ayant pour habitude d’enterrer de la nourriture pour revenir la déterrer plus tard. Il est donc fort plausible que l’association entre ces canidés et le patron des embaumeurs vienne au moins en partie de là.
Anubis est d’ailleurs une divinité assez ancienne au milieu de la mythologie égyptienne et son culte perdure assez tardivement. Au départ, il est représenté comme un canidé couché puis, à partir de la Vème dynastie (2500 à 2350 avant JC), on le voit aussi sous forme humanoïde à tête animale.
Pour aller plus loin, vous pouvez consulter cette vidéo de la fantastique chaîne Youtube Le Phare À On.
Enfin, pour rester sur Anubis, son emploi dans de larges pans de notre culture actuelle reste indéniable, à commencer par Lucario dans Pokémon, ou plusieurs cartes à son effigie dans Yu-Gi-Oh et, bien évidemment, dans la communauté furry.
Si l’Égypte ancienne est sans doute un des cas les plus populaires de représentations hybrides entre animaux et humains, il en existe bien d’autres comme Ganesh, à tête d’éléphant, issu de l’hindouisme et dont on retrouve les premières traces dès le premier siècle de notre ère. Encore une fois, aller au-delà de la seule évocation de ces divinités demanderait non pas plusieurs autres articles pour leur rendre justice, mais des livres d’histoire entiers, des ouvrages d’analyses ethnologiques, culturelles et bien plus.
Dans la peau du loup
Dans un article parlant des anciennes traces d’hybrides entre animaux et humains à travers l’histoire, le mythe (les mythes) du loup-garou me semble être un point incontournable. Après tout, il est encore régulièrement employé, recyclé et réinterprété par les furries, mais aussi dans des pans plus larges de notre culture. Mais d’où vient la figure du lycanthrope et comment expliquer sa place actuelle dans l’imaginaire collectif ?
En quelques mots, d’après certains articles, on retrouve des traces d’humains se transformant en loup dès l’Épopée de Gilgamesh, entre 2150 et 1400 avant JC, ainsi que dans la mythologie grecque à plusieurs reprises, en particulier avec le roi Lycaon changé en loup dans les Métamorphoses d’Ovide. La transformation en elle-même dispose de sa propre description détaillée, d’ailleurs.
Un article de Dr Amanda Hopkins de l’Université de Warwick explique que, si l’Église avait une influence majeure au Moyen-Âge et utilisait le bestiaire médiéval pour faire passer un message moral destiné aux humains, le loup-garou n’avait toutefois pas vraiment le rôle horrifique qu’on lui attribue aujourd’hui. Plutôt qu’un être à la forme hybride et terrifiante, il s’agissait beaucoup plus d’une créature à la forme d’un loup relativement commun dont le comportement traduisait une réflexion posée et humaine, transformée pour des raisons hors de son contrôle. Selon le même article, il faudra attendre les XVème et XVIème siècles pour voir apparaître les chasses aux sorcières et aux loups-garous, qui élèveront la créature à son rang monstrueux qu’on lui connaît.
Dans l’histoire du cinéma aussi, la figure du loup-garou fait plusieurs fois son apparition, dès The Werewolf de 1913, film muet aujourd’hui perdu. En 1941, The Wolf Man rencontre un franc succès et reste à ce jour un des classiques du genre. De très nombreux films continueront d’être produits jusqu’à aujourd’hui, parfois sous un angle humoristique associé à l’horreur, comme An American Werewolf in London en 1981. À peu près à la même période, pendant la première moitié du XXème siècle, les apparitions de loups-garous se multiplient dans la littérature, en particulier dans les magazines “pulps” comme Weird Tales.
L’art de Beatrix Potter
Par pure coïncidence et parfait timing, des extraits d’un certain ballet dans lequel jouaient des animaux anthropomorphiques se sont retrouvés sur ma timeline Twitter. Tales of Beatrix Potter, avec le chorégraphe Frederick Ashton, est une adaptation de plusieurs images et histoires de l’aquarelliste et écrivaine du même nom.
Beatrix Potter, née en 1866 près de Londres, et décédée en 1943, était une écrivaine, aquarelliste et passionnée par plusieurs domaines des sciences. Elle est aujourd’hui connue à plusieurs titres, notamment ses planches illustratives montrant des champignons avec une précision hors du commun, un papier de recherche sur la germination d’une espèce de champignon, mais surtout une collection de livres pour enfants dont le plus connu doit sans doute être Pierre Lapin, ou The Tale of Peter Rabbit.
Cet ouvrage était à l’origine contenu dans une lettre destinée à amuser l’enfant malade d’une ancienne gouvernante, mais elle finit par le publier elle-même en 1901. Tout comme dans la vingtaine de livres qu’elle écrira au long de sa vie, Pierre Lapin aborde avec simplicité le thème de l’enfance et des responsabilités du monde des adultes. Plus pertinent encore dans le cadre de cet article : tous ses personnages sont des animaux anthropomorphiques délicatement peints à l’aquarelle, comme des lapins, des oies, grenouilles, écureuils ou chats ; animaux qui l’entouraient dans sa vie quotidienne.
La précision des peintures de Beatrix Potter, non seulement anthropomorphiques mais aussi ses planches de champignons, est indéniablement le résultat d’un long travail d’observation de la nature, des animaux qui l’entourent et d’une profonde curiosité. Il est difficile de dire à quel point ses histoires illustrées ont pu ou non nourrir l’imaginaire collectif de la communauté furry, qui puise avant tout ses origines chez des fans de Star Trek pendant les années 80 aux États-Unis, mais plusieurs artistes actuels partagent des similarités frappantes en terme de style graphique, comme Nagabe ou tono (@mucknagabe et @rt0no respectivement sur Twitter).
J’aurais pu faire une liste beaucoup plus longue des différentes apparitions de figures hybrides à travers l’histoire. Comme dit plusieurs fois précédemment, tous ces sujets relèvent non seulement de l’archéologie, de l’ethnologie, mais aussi d’analyser la réception actuelle de très anciennes figures mythologiques ; des domaines tellement vastes qu’il serait difficile de dire ce qui a ou non influencé la communauté furry.
Beaucoup de personnes dans la communauté auront cependant déjà entendu parler de “classiques” beaucoup plus récents, comme Robin des Bois de Disney, Zootopie et bien d’autres. Un autre article entier pourrait être écrit sur les quelques décennies ayant précédé la naissance du fandom tel qu’on le connaît aujourd’hui, mais le but n’est pas de traiter de ce sujet maintenant.
En revanche, j’espère avoir pu vous communiquer de la curiosité pour les références que j’ai présentées ! 🙂
Texte et dessins par Loki !